Potosi Potosi Potossiiiii…
Dans les rues de Bolivie, impossible d’ignorer les vendeurs de billets de bus qui scandent leurs destinations. Cette dernière était pour moi un incontournable à découvrir, même si j’ai comme toujours préféré m’y rendre en auto-stop.
La ville impériale de Potosi fut fondée au XVIème siècle pour exploiter un gisement d’argent, qui s’est révélé être le plus grand au monde. D’un modeste établissement minier, elle est devenue l’une des villes les plus peuplées de l’époque. L’abondance du précieux minéral a offert à Potosi un développement fulgurant, ainsi qu’une grande prospérité à la couronne espagnole. Les colons avaient un train de vie luxueux et l’exprimaient au travers d’impressionnantes constructions, comme des églises richement ornées.
Certaines ont traversé les siècles et témoignent aujourd’hui encore de cette période faste. Pour son passé exceptionnel, le centre historique de Potosi a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Malgré tout, la visite de la ville m’a déçu. Les quelques églises et autres monuments à l’architecture coloniale semblent perdus dans un environnement aride. Isolés par de grands murs de briques crues, dans des ruelles plutôt sales et sans charmes. Toutes sont fortement inclinées, ce qui épuise dans cette ville d’altitude de la cordillère des Andes.
La montagne mangeuse d’hommes
Pourtant, impossible d’en partir sans aller faire un tour au Cerro Rico, ou « colline riche » en français, qui est le symbole de la ville. C’est dans ce sommet, qui culmine à presque 4 800 mètres d’altitude, que se situent les fameuses mines d’argent qui caractérisent la ville.
Pour exploiter les ressources de la mine, les colons espagnols firent d’abord venir des esclaves d’Afrique. Mais le travail physique très dur combiné aux températures très basses de l’altiplano et au manque d’oxygène en altitude provoqua des hécatombes.
Le gouverneur décréta alors les travaux forcés pour les peuples autochtones, habitués à ces conditions extrêmes et plus résistants. Il les soumit à la mita, système qui oblige tout homme à travailler dans les mines, au bénéfice du royaume, par périodes de quatre mois (jusqu’à 15 heures par jour).
Dans son livre les veines ouvertes de l’Amérique latine, Eduardo Galeano résume ces trois siècles d’histoire par cette parabole cruelle : « un pont entre le Cerro Rico et l’Espagne entièrement fait de l’argent extrait des mines aurait pu être construit, ou bien érigé avec les cadavres des travailleurs morts dans ces mêmes mines ».
Au XVIIIème siècle, les filons d’argent s’épuisent progressivement. Potosi commence à se dépeupler, la couronne espagnole à perdre de son influence en Europe. La découverte de gisements de zinc et d’étain sauve finalement Potosi de l’abandon et, aujourd’hui encore, la vie locale tourne autour des mines. Des centaines de travailleurs organisés en coopératives continuent de plonger dans les entrailles du Cerro Rico chaque jour.
Malheureusement, les conditions de vie n’ont pas beaucoup évolué. Les mineurs passent toujours leurs journées dans un monde d’obscurité. Ils doivent pousser, courbés, de lourds chariots dans des galeries étroites et supporter une température étouffante. Les extractions se font à la pioche et à la dynamite, dans de lourds nuages de poussière et une odeur âpre. C’est un travail physique extrêmement difficile qui n’assure pas une très grande espérance de vie, d’autant plus que beaucoup de mineurs commencent à travailler… mineurs !
Quant au Cerro Rico, il est devenu très instable en raison du grand nombre de galeries qu’il abrite. Son sommet s’est déjà affaissé et il menacerait de s’effondrer sur lui-même à tout moment !
De fortes traditions minières
De nombreuses traditions, croyances et rites ont été développés par les mineurs pour pouvoir endurer cet univers impitoyable.
Les feuilles de coca sont un outil indispensable pour les boliviens qui effectuent de lourds travaux physiques. Les mineurs en mâchent ela feuille de coca toute la journée, ce qui leur permet d’atténuer les sensations de fatigue, de faim, de soif, et aurait des propriétés pour lutter contre le mal d’altitude.
Coté croyances, une divinité est récurrente dans la cosmologie andine : la pachamama. Elle représente la terre mère, la mère nourricière. Pour les mineurs, c’est la source des métaux tant recherchés !
Pour la remercier et obtenir sa protection, les mineurs pratiquent le rituel du wilancha, c’est à dire le sacrifice de lamas. Lors d’occasions spéciales, ces animaux sont emmenés vivants dans les mines, puis rendus ivres. Une fois leur état de conscience altéré, ils sont décapités et leurs cœurs sont arrachés encore palpitants. Leur sang est récolté puis dispersé en offrande à la pachamama.
Il existe un autre culte, consacré à un étrange personnage nommé Tio. A l’origine, ce serait une invention des colons inspirée du diable, qui visait à augmenter la productivité des peuples originaires par la menace. Mais les travailleurs païens ont commencé à s’approprier son image et à le vénérer comme un protecteur, bel exemple du syncrétisme si présent en Amérique du Sud. Ses effigies se croisent par centaines, dans tous les recoins de la mine.
Le Tio reçoit de nombreuses offrandes, souvent des produits qu’utilisent les mineurs. Les feuilles de coca, le tabac ou les fioles d’alcool à 96° s’observent fréquemment à ses pieds. Il est représenté avec un sexe démesuré, car la légende dit qu’il féconde la Pachamama pour donner naissance aux filons de minerais.
Un tourisme soutenable ?
Avant de descendre dans les mines, j’ai débattu avec quelques amis de l’intérêt de ce genre de tourisme et des questions éthiques qu’il soulève.
Pour caricaturer à l’extrême, est-il acceptable que des personnes fortunées de l’hémisphère nord, en vacances, partent en excursion contempler d’autres êtres humains user leurs vies en travaillant misérablement ?
Certains blogueurs livrent parfois des témoignages très négatifs de leurs excursions. Avec des groupes et des guides qui adoptent des attitudes dangereuses, en jouant avec des bâtons de dynamites, ou qui traitent les mineurs comme les animaux d’un zoo…
Le voyeurisme et le tourisme de la misère est évidemment à proscrire. Fort heureusement, je n’ai pas connu de comportements aussi cyniques lors de ma visite.
Le tourisme minier me semble au contraire très intéressant, dans la mesure où il permet d’observer une tradition encore vivante. Or, il est tout simplement impossible de s’aventurer dans les mines sans guide !
Mais il est nécessaire d’adopter une approche plus raisonnable et soutenable que celles citées précédemment. Je pense que la clé réside comme souvent dans le respect de l’autre. Cela parait aller de soi, mais il est important que les visiteurs interagissent normalement avec les mineurs et ne leur dirigent pas de regards condescendants ou de gros coups de flash par surprise.
Avant la visite, nous passons au marché et devons acheter du matériel. Ce « shopping » obligatoire ne m’a pas été annoncé et m’a laissé perplexe. Je l’ai mieux compris par la suite puisqu’il s’agit finalement d’une manière d’impliquer le touriste autrement que dans la contemplation ou l’échange monétaire (les coopératives touchent des commissions sur les visites). Nous ravitaillons ainsi les mineurs rencontrés en chemin, en leur donnant du matériel de première nécessité pour leur journée de travail : des feuilles de coca, des boissons ou de la dynamite.
Parfois, un grondement sourd se fait entendre. Il signifie l’arrivée d’un chariot sur les rails. Dans ce cas, notre guide nous fait courir à demi courbés pour nous réfugier dans des alcôves. C’est l’assurance de ne pas gêner leur passage, et par là même, le travail des mineurs.
Dans ces circonstances, je pense que le tourisme n’est pas tant nuisible aux mineurs. Au contraire, comme les équipements de protection sont à leurs frais et que la découverte de minerais est assez aléatoire, l’apport économique du tourisme semble une étape inévitable à l’amélioration de leur destin.
Malheureusement, les guides et leurs touristes sont pour l’instant toujours mieux équipés que les travailleurs…
très beau reportage qui laisse à réfléchir.
J’aime ton style simple, leger.
Je ne sais plus dans quel pays d’amérique centrale ou latine j’avais visité un genre de Tio. Pour ma part, j’avais pas du tout adhéré à ces rites.
Mercipour tout
Merci Pascal !
Super, sache que derrière les photos, et maintenant l’écriture, je me pose beaucoup de questions. Je suis donc enchanté que les évolutions te plaisent ! 🙂
Toujours avec plaisir